Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Journal de la marbrerie et de l'art décoratif: bimensuel — 4.1907 (Nr. 77-100)

DOI Heft:
Supplement au Nr. 90
DOI Artikel:
Vandalisme
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.17229#0118

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
110

Vandalisme

Nous avons plusieurs fois décrit, dans nos
articles et études concernant Carrare, les
modes barbares d'exploitation des marbres
italiens.

Il semblait cependant que, ces dernières
années, les exploitants et propriétaires de
ces carrières modernisaient leur travail et en
arrivaient aux moyens pratiques et pro-
ductifs; aussi n'est-ce pas sans une certaine
stupéfaction que nous avons appris, par les
journaux locaux, que le 14 juillet on devait
faire sauter un demi-million de tonnes de
marbre blanc dans le Monte Maggiore.

On avait accumulé dans le flanc de la
montagne 8,000 kilos d'explosifs ; la surface
à détruire était de 190,000 mètres cubes. Les
journaux ajoutaient à titre épisodique :

« Le clou de cette exécution sans pareille
» c'est que le mineur chargé d'accomplir le
» haut l'ait est... M. Gabriele d'Anhunzio,
» qui, d'une distance de 800 mètres de la
» montagne, pressera le bouton électrique et
» déterminera ainsi le choc.

» Voilà un poète qui travaille comme un
» ouvrier pour fournir de la bonne matière à
» ses confrères les architectes et les sculp-
» teurs... »

mais disaient, le 18 juillet :

« La montagne est tombée, mais ce n'est

» pas le poète qui a eu la gloire de fournir

» d'un demi-million de tonnes de beau mar-

» bre les ateliers des sculpteurs... A huit

» heures du matin, le 14 juillet, tout était

» prêt pour la grave opération, lorsqu'on

» s'aperçutque le poète seul n'était pas encore

» à sa place. C'est une jeune fille de l'assis-

» tance, fille d'un des propriétaires de la

» montagne, qui a pris la place du poète

» devant les autorités et quelques-uns des

» meilleurs artistes italiens conviés à la

» fête.

» Quant à M. Gabriele d'Annunzio, qui

» s'était attardé en chemin, lorsqu'il arriva

» au rendez-vous, tout était fini! »

La présence de d'Annunzio n'avait qu'une
importance très relative, bien que le célèbre
auteur nous affirma, dans sa dernière œuvre,
que les montagnes de marbre avaient tres-
sailli devant la femme dont elles allaient
immortaliser les formes!

Ce qui est fantastique, c'est que le barba-
risme de ces procédés n'ait pas encore frappé
certains maîtres de carrière qui continuent à
détruire, par pure ignorance ou par laisser-
aller, des milliers de tonnes de l'une des plus
belles ma'tières qui soient.

Le raisonnement équivaudrait à celui du
boucher qui emploierait le système Toqué
pour débiter les bêtes. C'est certainement très
simple et expéditif, mais au point de vue
industriel le moyen est absolument nègre.

Que le poète d'Annunzio trouve le procédé
grandiose, c'est possible et même probable;
toutes les femmes seront également de cet
avis; mais que des ingénieurs de l'Etat assis-
tent à ces opérations de vandales sans pro-
tester contre la stupidité des gens qui dila-
pident ainsi un peu du patrimoine du pays et
gaspillent une des sources de sa prospérité,
voilà qui dépasse l'imagination.

P. S. — A l'instant nous recevons une lettre de
notre correspondant de Carrare qui a assisté, à
Golonnata, à l'explosion.

Golonnata est le village du Monte Maggiore où
se trouvent les carrières massacrées; il devra sans
doute à d'Annunzio sa célébrité, grâce au prochain
roman où le poète chantera ses impressions. Et quel
poète! C'est lui qui se fait appeler « le plus grand
Italien ».

Il a posé devant trente-sept appareils photogra-
phiques. Chose bizarre, nous avons devant les yeux
une de ces photographies où dAnnunzio tient entre
les mains l'appareil électrique qui devait détermi-
ner l'explosion, tandis qu'il lève un regard inquiet
vers la montagne condamnée et qui va tressaillir
d'un instant à l'autre.

Or. beaucoup de journaux italiens disent qu'il est
arrivé trop tard.

Nous pouvons affirmer que les deux versions,
celle donnée par la photographie et celle donnée
par la presse, sont inexactes, partiellement du moins.
Nous tenons la vérité de notre correspondant, qui
était sur les lieux. La voici : d'Annunzio a tenu
l'appareil en main et il suffisait d'une simple pres-
sion du doigt pour faire sauter la montagne.
d'Annunzio était donc là en temps, mais... il s'est
éclipsé au bon moment !!

Gageons que cette phase est la seule qui n'aura
pas été photographiée, et sourions quelque peu en
pensant à la presse italienne, qui a cru devoir modi-
fier les faits pour sauver l'amour propre national, et
à d'Annunzio qui modifie le programme pour
sauver sa précieuse... santé.

C'est égal, mais les grands hommes perdent
souvent à être vus de près !
 
Annotationen